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Directive européenne sur le temps de travail

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le Conseil d’Etat rejette la requête d’un gendarme qui contestait l’organisation du temps de travail dans la gendarmerie départementale

Un sous-officier de gendarmerie a demandé au Conseil d’Etat d’annuler le refus du ministre de l’Intérieur de transposer à la gendarmerie départementale l’article 6 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003[1], qui fixe un plafond de temps de travail de 48 heures par semaine.

Le Conseil d’État, statuant en Assemblée du contentieux – sa formation la plus solennelle –, a rejeté cette requête au terme d’un raisonnement en trois temps (décision n°437125 du 17/12/21) :

1)      Affirmation de l’exigence constitutionnelle de libre disposition de la force armée

Dans sa récente décision French Data Network du 21 avril 2021[2], le Conseil d’Etat a rappelé que la Constitution française demeure la norme suprême du droit national. En conséquence, il lui revient de vérifier que l’application du droit européen, tel que précisé par la CJUE, ne compromet pas, en pratique, des exigences constitutionnelles qui ne sont pas garanties de façon équivalente par le droit européen.

Dans la présente affaire, se posait la question de savoir si l’application de la directive du 4 novembre 2003 ne compromettait pas le principe de libre disposition de la force armée, issu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel[3]. Ce principe implique que soit garantie, en tout temps et en tout lieu, la disponibilité des forces armées[4] pour assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au premier rang desquels figurent l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire.

Si le Conseil d’Etat n’a pas eu besoin d’opposer cette exigence constitutionnelle au cas présent, c’est uniquement parce qu’il a constaté que l’organisation du temps de travail dans la gendarmerie départementale ne méconnaissait pas les dispositions de la directive du 4 novembre 2003 en cause dans ce litige.

2)      Vérification du champ d’application de la directive européenne du 4 novembre 2003

Le Conseil d’Etat a relevé que le choix des auteurs[5] de la directive du 4 novembre 2003 a été, d’une part, de donner une dimension extrêmement large à son champ d’application qui couvre tous les secteurs d’activités, privés ou publics, d’autre part, de prendre en compte la nature de l’activité exercée et non le statut assigné par la loi nationale à telle ou telle catégorie de travailleurs. Et ce n’est, selon les termes mêmes de l’article 2 de la directive du 12 juin 1989 (à laquelle renvoie la directive de 2003), que lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques, par exemple susceptibles d’être exercées par les membres des forces armées, s’y opposent de manière contraignante que les activités en cause sont exclues des prévisions de cette directive.

Le Conseil d’Etat a ensuite pris en compte la jurisprudence récente de la CJUE[6] qui a reconnu que les règles de la directive du 4 novembre 2003 « ne sauraient être interprétées d’une manière telle qu’elles empêcheraient les forces armées d’accomplir leurs missions et qu’elles porteraient atteinte, par voie de conséquence, aux fonctions essentielles de l’État que sont la préservation de son intégrité territoriale et la sauvegarde de la sécurité nationale » et qui a admis en conséquence des exceptions significatives à l’application de la directive concernant les militaires, en particulier :

–          les activités des militaires intervenant dans le cadre d’une opération militaire, de leur formation initiale, d’un entraînement opérationnel ;

–          les activités qui ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs eu égard aux hautes qualifications des militaires en question ou à leurs tâches extrêmement sensibles ;

–          les activités qui sont exécutées dans le cadre d’événements exceptionnels ;

–          les activités qui présentent un lien d’interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l’application de la directive se ferait au détriment du bon accomplissement de ces opérations.

Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a recherché si les activités de la gendarmerie départementale entraient dans le champ d’application de la directive du 4 novembre 2003. Il a relevé que les ministres de l’intérieur et de la défense, dans leurs arguments avancés lors de l’instruction, soulignaient que, dans le contexte actuel, seule une partie « très minoritaire » des activités de la gendarmerie départementale pouvait bénéficier des exceptions à la directive, admises par la CJUE.

3)      Examen de la réglementation du temps de travail dans la gendarmerie départementale

Le Conseil d’Etat a ensuite examiné la compatibilité entre la réglementation du temps de travail dans la gendarmerie départementale et l’article 6 de la directive du 4 novembre 2003 sur la limite hebdomadaire de 48 heures (seul article invoqué par le gendarme requérant).

Il a jugé que, compte tenu des exigences spécifiques inhérentes à l’état militaire et des missions incombant à la gendarmerie nationale, les règles en vigueur relatives aux temps de repos et l’organisation singulière de la gendarmerie départementale garantissaient le respect de l’objectif de 48 heures hebdomadaires de temps de travail fixé par la directive. Il a ainsi estimé, au regard de ces spécificités et du logement des gendarmes en caserne, qu’il n’y avait pas lieu d’inclure les astreintes dans ce décompte du temps de travail. Il a par ailleurs rappelé que celui-ci pouvait être apprécié en moyenne sur six mois et que la limite de 48 heures n’était pas applicable dans le cadre des exceptions mentionnées plus haut, notamment en cas de circonstances exceptionnelles.

Le Conseil d’Etat a, par conséquent, écarté l’argumentation du requérant selon laquelle la réglementation de la gendarmerie départementale méconnaissait l’article 6 de la directive du 4 novembre 2003, sans avoir besoin, du fait de ce rejet, de vérifier si les exigences constitutionnelles de libre disposition de la force armée risquaient d’être compromises par l’application du droit européen.

[1] Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail

2 Assemblée, n° 393099, publiée au recueil Lebon  (communiqué)

3 Décisions du Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 et n° 2014-450 QPC du 27 février 2015

4 Selon l’article L. 3211-1 du code de la défense : « Les forces armées comprennent : / 1° L’armée de terre, la marine nationale et l’armée de l’air et de l’espace (…) ; / 2° La gendarmerie nationale ; / 3° Les services de soutien et les organismes interarmées. / (…) ».

5 Le Conseil, composé des représentants des gouvernements des Etats membres, et le Parlement européen.

6 Cour de justice de l’Union européenne : Arrêt de Grande chambre du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C‑742/19), notamment points 43 et 88.

Contacts presse

Lorraine Acquier – 01 72 60 58 42 – lorraine.acquier@conseil-etat.fr

Antoine Sourdril – 01 72 60 58 41 – antoine.sourdril@conseil-etat.fr

www.conseil-etat.fr

Rechercher une décision : ArianeWeb

Suivre l’actualité du Conseil d’État sur Twitter : @Conseil_Etat


[1] Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail

[2] Assemblée, n° 393099, publiée au recueil Lebon  (communiqué)

[3] Décisions du Conseil constitutionnel n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 et n° 2014-450 QPC du 27 février 2015

[4] Selon l’article L. 3211-1 du code de la défense : « Les forces armées comprennent : / 1° L’armée de terre, la marine nationale et l’armée de l’air et de l’espace (…) ; / 2° La gendarmerie nationale ; / 3° Les services de soutien et les organismes interarmées. / (…) ».

[5] Le Conseil, composé des représentants des gouvernements des Etats membres, et le Parlement européen.

[6] Cour de justice de l’Union européenne : Arrêt de Grande chambre du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C‑742/19), notamment points 43 et 88.


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